ECRANSUD, enraciner une production cinématographique et audiovisuelle en Midi Pyrénées
La production de films en Midi Pyrénées est une affaire rare. Même si depuis un passé récent (20 ans pour les plus anciennes, 10 pour la plupart) une dizaine de structures de production se sont créées. L’histoire du cinéma retient peu de films tournés à Toulouse et dans sa région. C’est hors de la capitale régionale que se sont initiées la plus grande partie des tournages. Si l’on regarde la région voisine d’Aquitaine, on constate que de tout temps, de nombreux long métrages y ont été tournés. Bordeaux, ville de pierre du 18° structure une idée d’un décor de Paris au siècle des lumières, et suggère qu’on y tourne nombre de films et de téléfilms “historiques”. La Région Aquitaine dispose en outre de l’océan proche, de paysages agricoles et urbains variés (les décors médiévaux de Sarlat) et par la présence invisible de ses écrivains incarne la province .
Donc, peu de films s’enracinent dans la réalité du “Midi”. J’emploie de façon voulue un terme générique. Pour la majorité des francais, le Midi, c’est un vaste sud qui n’engloberait même pas le sud ouest, bien que le terme de “Midi-Pyrénées “ en ai fait part sienne.
Les décentralisations cinématographiques
En 1989 le centre de création cinématographique implanté en Midi Pyrénées au titre de la décentralisation cinématographique cessait son activité dans des soubresauts difficiles, dues à des structures peu assurées, un mission de décentralisation cinématographique au CNC ballottée au gré des décisions, sans moyens véritables au bout de cinq ans. A nouveau un handicap à rattraper, à nouveau un ouvrage inachevé…. Midi Pyrénées n’a pas eu le monopole de cette situation, René Allio à Marseille est parti dans des conditions analogues, le centre du Havre aussi. Sur les sept centres créés en 1982/85, aucun ne subsiste dans les conditions natives. Récemment a disparu l’ARC Bretagne à Quimper, le dernier de la liste.
Malgré les années et une expérience certaine pour nombre de ces producteurs, aucun ne s’est imposé dans la production de fictions, de documentaires de création diffusés sur les chaînes nationales. Ces producteurs ont face à eux des réseaux locaux de communication et de diffusion audio-visuelle sans réel pouvoir décisionnaire en ce qui concerne la production lourde (téléfilms, films, documentaires de création). A plus forte raison dans les stations locales de France 3 où l’achat de production se fait sur des bases financières telles que celui-ci n’est qu’un complément de financement, une façon de se rendre éligible au compte de soutien aux industries de programmes ou encore il s’agit de la recherche d’un partenariat en terme d’industrie technique sur par exemple des prestations de mixage ou des moyens lourds en matière de vidéo directe.
On assiste donc sur le “marché régional” à une répartition des tâches, à une ligne invisible de partage des “lignes” de production: au privé les marchés de l’entreprise de la publicité et des prestations pour les chaînes nationales (TF1, M6, C+), au service public la gestion directe des correspondances de l’actualité nationale (France2) les documentaires de création, la production exécutive des fictions destinées à l’antenne nationale et tournées dans les régions. Seules quelques émissions, cohérentes avec la programmation de l’antenne régionale échappent à ce schéma.
La télévision “régionale”
La télévision régionale a peu à peu absorbé les techniciens, les réalisateurs qui oeuvraient dans le domaine de la fiction cinématographique lors des débuts de la décentralisation cinématographique voici dix ans. Les scénaristes travaillent pour des producteurs de Paris.
Loin d’être un relais, loin de promouvoir sa propre richesse territoriale, la direction nationale de France 3 gère selon le système des tâches réparties. Suivant ses capacités ou le dynamisme d’une station, le “National” lui accorde, sur vision d’un pilote, la production d’un magazine diffusé sur l’antenne nationale. Ce mode de production a fleuri depuis quelques années, un système d’ailleurs en grande partie impulsé par la station de Toulouse, sous l’égide d’Isy Morgenstern, puis d’Alain Thomas et enfin de Tiziana Cramerotti, tous ces responsables d’antennes aux idées dynamiques qui ont donné à la station des émissions diffusées sur l’antenne nationale ou interrégionale comme “Regard de femmes”,”le magazine du rugby”, “Alice”, “Bonjour l’ancêtre”, “Passages”, les magazines transfrontaliers, etc,…. Nous pouvons malgré tout nous en féliciter: Midi Pyrénées possède l’une des meilleures stations de France 3 de France.
Les autres régions suivent elles aussi leur chemin, à Grenoble, “Montagne”, à Limoges “Aléas”,…. A tel point que signe non affirmé mais réel de contestation de cette ligne, les stations gèrent des co-productions avec d’autres chaines de télévisions ou produisent dans l’espace interrégional avec d’autres stations de France 3. L’exemple d’Aléas à Limoges est un exemple). On peut observer qu’aucun de ces magazines n’est diffusé en soirée ou dans le créneau de 19/20 heures[1]. Se pose aujourd’hui la question d’une chaîne des régions, en syndication à l’anglaise ou à l’allemande, qui créerait des vrais télévisions de région, apte à se positionner économiquement, socialement, économiquement, culturellement sur leur territoire[2] . On voit bien que l’information régionale se maille elle-même en matière de télévision. France 3 crée des bureaux à Albi, Cahors, bientôt Toulouse. Inutile de ramener le débat sur les taux d’écoute du journal basque de France 3 Aquitaine (1° écoute de France, meilleure part de marché!), ou celui d’Albi. Ces chiffres montrent tout l’intérèt d’images de proximité, la réflexion sur la nécessité de production d’imaginaire semble pourtant connexe à ces faits et chiffres.
Produire un long métrage, malgré tout
Ecransud à produit en 96 son premier long métrage, “la vallée des montreurs d’ours”. Un long métrage documentaire (1h40) destiné aux salles de cinéma avec une version écourtée (30’) destinée à la télévision. Ce film, notre premier long métrage mais notre vingtième production[3], évoque un pan méconnu de l’histoire sociale et humaine de notre région, l’histoire des ariégeois qui au siècle passé ont quitté l’Ariège un ours à leur côté pour parcourir les routes du monde. Le résultat d’exploitation du film après 18 mois dans les salles est encourageant. Un très bon accueil de la presse, et,.. du public puisqu’à ce jour 38 000 spectateurs ont vu le film avec des scores importants à Foix, Saint Girons et Toulouse (avec 11000 entrées sur l’agglomération). Mais tout cela au prix de 127 présentations publiques pour le réalisateur! Le film a obtenu le grand prix au festival international du film de montagne de Trente, et vient d’être diffusé sur les chaînes françaises et étrangères.
En septembre 2002, nous allons entreprendre notre deuxième long métrage. Il me semble important qu’aujourd’hui, qu’une entreprise de production installée en Région puisse produire des films destiné aux salles. Car c’est ce type de production d’images qui est le seul à produire du sentiment d’appartenance hors le flux télévisuel, et l’imaginaire est au coeur du débat sur notre identité.
Pourrons nous, dans les années à venir, dépoussiérer notre fonctionnement, déprovincialiser nos habitudes pour faire émerger des structures suffisamment fortes hors Paris, pour que l’Europe aux composantes de plus en plus fédérales – et dont, il faut le remarquer, la Région est l’unité géographique élémentaire d’un dialogue structurant- prenne en compte les Régions de France, et non plus seulement l’état. Je donnerai un seul exemple: la Catalogne, notre “région” voisine, vient de voir le secrétaire de son association des producteurs porté à la tête d’un programme européen Média, un programme organisé sur son territoire (à Sitges).
Aucun programme audio-visuel à caractère européen n’a vu le jour en Midi Pyrénées. Hors d’ici, ils fleurissent en Catalogne, à Madrid, à Munich, à Bruxelles,… Mais pas à Paris, hors-jeu en ce qui concerne les réflexes communautaires décentralisés. Doit-on préciser que les moyens publics misérables indiquent l’absence d’une politique dans ce domaine. La Région de Bretagne a en 2000, engagé 13 MF dans la production audiovisuelle.
Alors, peut-on faire des suggestions, des propositions?
Je crois qu’il est important de créer de toute force une industrie régionale du multimédia. “Cette industrie et ses créations vont constituer dans les dix ans à venir le troisième secteur de l’économie mondiale”. Un retard important est déjà pris. Or Midi Pyrénées à des atouts. Nous pouvons nous appuyer sur un réseau universitaire de premier ordre, et aussi la deuxième entreprise française dans le monde de l’édition pour enfants, les éditions Milan. Il faut créer des ponts entre les nombreuses entreprises de l’édition, du génie logiciel, le monde de l’informatique, le monde de l’enseignement, les professionnels de l’audiovisuel afin de développer une véritable industrie du savoir, un des créneaux industriels qu’une Région à forte compétence universitaire peut développer dans les années à venir. Ce créneau industriel permettra au entreprises de se structurer, de créer des savoir faire et impulsera de nouveaux projets dans le domaine du cinéma.
Veut-on une création audiovisuelle à caractère identitaire propre? Alors, il faut que la Région fasse son aggiornamento dans ce domaine et donne des moyens de co-financement des projets. Il faut encourager l’écriture de scénarii…. Créer, dans un festival de cinéma fortement ancré en Midi Pyrénées nécéssaire aiguillon de la confrontation des œuvres. (une seule manifestation fonctionne avec un public important: c’est le festival des cinémas d’Amérique Latine).
Il faut aussi que les professionnels se regroupent de façon claire et au delà des chapelles. Je pourrai citer de nombreuses associations de producteurs de Midi Pyrénées mort-nées car “oubliant” suivant leurs humeurs ou leurs inimitiés d’inviter leurs collègues à leurs réunions de constitution. Les bretons ont su, eux au sein de l’APAB, l’association des producteurs, puis au sein de ARBRE pour les réalisateurs constituer un relais sérieux face aux institutions et devenir un interlocuteur pour l’État et les collectivités. L’APIAMP peut devenir en s’élargissant ce relais indispensable.
Les voies d’un imaginaire?
J’ai essayé de décrire au début de ce texte certaines des contradictions, des signes sous-jacents d’identité ou de conformisme, de “clichés” contenus dans le cinéma de la France. Ces contradictions, me semblent même suggérer des pistes pour un avenir d’imaginaires cinématographiques.
Des auteurs injustement méconnus de notre littérature peuvent aussi, pourquoi pas en être les inspirateurs (Giono, mais aussi pourquoi pas Mistral, Bodon, Rouquette, Jean Henri Fabre,….). Ce sont tous des auteurs de l’espace, souvent d’un espace en suspens, arrêté par la contingence. Mistral est l’auteur d’une plénitude de la terre, celle d’un monde paysan à l’apogée de sa civilisation, Bodon aura assimilé les deux guerres, qui auront même constitué une part de son oeuvre, il décrira un monde à l’abandon et ses héros fréquentent les frontières (le livre des grands jours, Catoia), Rouquette, lui est le continuateur des grands lyriques, il suit la lignée de Fabre et Mistral en magnifiant une dimension cosmique, un rapport sacré avec les êtres et les choses.
Ce cinéma pourrait s’approcher des cinémas d’Italie, du cinéma des Espagnes, baigné par la Méditerranée, ce monde entre terre et mer, un monde de rituels où le profane et le sacré s’entremèlent. Julien Gracq disait du Causse, un de nos espaces les plus symboliquement signifiants: “il est le dernier exotisme francais…”. Effectivement, l’exotisme revendiqué d’une cinématographie plus panthéiste que psychologiste, plus lyrique qu’intimiste, le traitement de l’espace, le rapport à la langue d’oc, enfouie, cachée, méprisée me semblent être quelques unes des pistes que pourrait suivre un cinéma “d’ici”. Un lien subtil, un rapport intime, un chemin initiatique nous relie à notre enfance. “Nous sommes du pays de notre enfance”. Ce pays imaginaire peut nourrir des films d’une territorialité intime et immédiate. J’espère avec exigence et entêtement que chacun y trouvera son territoire.
Francis Fourcou
[1] La structuration nécessairement symbolique de cette tranche étant une merveille en soi (une tranche de nation/une tranche de région/une tranche de nation/une tranche de région).
[2] Le conflit de 97 sur France 3 montre que les personnels ne sont pas opposés à ce que “leur” station prenne les attributions d’une véritable chaîne.
[3] Sur la vingtaine de films produits par Écransud à ce jour, trois seulement ont été diffusés sur l’antenne régionale, et n’ont dû leur existence qu’à la coproduction ou l’achat d’une chaîne nationale. Le film Georges Rouquier ou la belle ouvrage de Philippe Haudiquet et Jean Arlaud, portrait de l’artiste et de l’homme de cinéma mondialement connu pour son film Farrebique tourné en Aveyron au travers ses sources d’inspiration, co-produit par l’antenne nationale de France 3 (Océaniques/Pierre André Boutang), l’Unité Cinéma Georges Pompidou (Beaubourg), et qui, après le prix du jury au festival international du film documentaire de Nyon (Suisse), obtient en 1994 la mention du jury au festival mondial du film d’art de l’Unesco, n’a jamais été diffusé sur l’antenne régionale. De même pour Bissière ou le regard du coeur, prix de l’Unesco, diffusé par Canal + mais pas par France 3 Sud…. Les téléspectateurs de Midi Pyrénées n’ont ainsi pas vu des oeuvres primées dans des festivals internationaux, financées pour partie par des crédits régionaux, sur des artistes emblématiques de leur région. Je dois signaler que sans la confiance de Tiziana Cramerotti j’aurais eu beaucoup de difficultés à boucler la production de La Vallée des Montreurs d’Ours”